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“Retour vers le futur : quelques remarques à propos de l’arrêt Kononov c. Lettonie”

Updated: May 16, 2019

Par Vaios Koutrolis. Archivé 2 Juin 2010


Le 17 mai 2010, dans l’arrêt rendu dans l’affaire Kononov c. Lettonie, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la condamnation par les tribunaux lettons en 2004 d’un partisan rouge pour des crimes de guerre commis en 1944 ne constituait pas une violation du principe de la légalité des délits et des peines (art. 7 de la Conv. EDH). La Cour a trouvé dans le droit international de 1944 une base juridique suffisamment claire pour les crimes de guerre pour lesquels le requérant avait été condamné. A cette fin, elle a été amenée à analyser, notamment, une série des règles du droit international humanitaire. Suivent quelques remarques sur l’analyse entreprise par la Cour, qui semble avoir utilisé des lunettes de 2010 pour lire le DIH de 1944.


Le 17 mai 2010, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) a rendu son arrêt dans l’affaire KONONOV c. LETTONIE. L’affaire concerne la condamnation en 2004 par les tribunaux lettons d’un membre des combattants soviétiques qui menaient une guérilla contre les forces allemandes lors de la Deuxième Guerre Mondiale (partisans rouges) pour des crimes de guerre qu’il aurait commis en Lettonie occupée, sur la base du code pénal letton de 1961 et du droit international. La Grande Chambre a considéré que la condamnation du requérant pour crimes de guerre ne constitue pas une violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).


Les faits de l’affaire

Le 27 mai 1944, Kononov et son unité de commandos, portant l’uniforme de la Wehrmacht, ont envahi le village de Mazie Bati en territoire letton occupé par l’Allemagne afin de punir des villageois accusés d’avoir collaboré avec les forces allemandes, notamment de leur avoir livré un groupe de partisans rouges quelques mois auparavant. Les commandos ont pénétré dans les maisons des villageois en question où ils ont saisi des armes et des grenades fournies par les forces d’occupation allemandes. Ils ont abattu 5 hommes et ont mis le feu dans les maisons tuant ainsi encore 1 homme et 3 femmes, dont une était enceinte de 9 mois.


Kononov a été condamné pour les crimes de guerre perpétrés lors de l’opération du 27 mai 1944, sur la base de l’article 68 §3 du code pénal letton de 1961 interprété à la lumière des règles du droit international humanitaire (DIH) et du droit pénal international.


L’arrêt du 17 mai 2010

Kononov a saisi la Cour EDH en soutenant que sa condamnation était contraire à l’article 7 de la CEDH qui énonce le principe de la légalité des délits et des peines. Il invoquait, entre autres, le fait que les actes pour lesquels il a été condamné ne constituaient pas une infraction au moment de leur commission. Contrairement à l’arrêt de la Chambre du 24 juillet 2008, la Grande Chambre a conclu, par 14 voix contre 3, à la non-violation de l’article 7 de la Convention. La Cour a considéré qu’il existait, en 1944, une base juridique suffisamment claire pour les crimes de guerre pour lesquels Kononov avait été condamné et que ces crimes engageaient la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs. Elle a également proclamé, primo, que le requérant pouvait prévoir que ses actions risquaient d’être constitutives de crimes de guerre pour lesquels il pourrait voir sa responsabilité pénale individuelle engagée et, secundo, que les crimes en question n’étaient pas prescrits.


Quelques points à relever

Pour démontrer que la condamnation du requérant reposait sur une base juridique claire, la Cour EDH a dû analyser le statut d’une série de règles du DIH en 1944. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques brefs commentaires de certains développements de la Cour.

a. Une définition trop large des personnes « hors de combat » ?


      Le degré de collaboration des villageois qui étaient victimes des crimes commis par Kononov et ses commandos avec les forces allemandes d’occupation était contesté. La Cour a décidé de ne pas trancher la question de savoir si les villageois tués étaient des combattants ou des civils. Elle a émis deux hypothèses, en soutenant qu’ils étaient soit des combattants, en tant qu’auxiliaires de la police allemande ou en tant que membres de la garde nationale lettone, soit des civils ayant pris part aux hostilités en communiquant aux forces d’occupation allemandes des informations ayant abouti à l’anéantissement d’un groupe des partisans rouges (§194).


La Cour a considéré que dans les deux hypothèses, les villageois étaient des personnes hors de combat et, à ce titre, protégées par le jus in bello tel qu’il existait en 1944, et plus précisément par l’article 23 alinéa c du Règlement de La Haye de 1907. La Cour donne la définition suivante des personnes hors de combat (§216) :

« Pour bénéficier de cette protection [i.e. celle accordée aux personnes hors de combat], un individu devait être blessé, réduit à l’impuissance ou être incapable de se défendre pour une autre raison (et ne pas porter d’armes), il ne devait pas nécessairement jouir d’un statut juridique particulier ni s’être formellement rendu ».


Pour rappel, les personnes hors de combat ont été définies dans l’article 41 du premier Protocole additionnel de 1977 (PA I), dont le paragraphe 2 précise que :

« Est hors de combat toute personne :

a) qui est au pouvoir de la partie adverse ;

b) qui exprime clairement son intention de se rendre, ou

c) qui a perdu connaissance ou est autrement en état d’incapacité du fait de blessures ou de maladie et en conséquence incapable de se défendre, à condition que, dans tous les cas, elle s’abstienne de tout acte d’hostilité et ne tente pas de s’évader ».


Il semble que, de l’avis de la Cour, le DIH coutumier en 1944 contenait une définition des personnes hors de combat plus large que celle établie par le PA I en 1977.

b. Un champ d’application trop large pour l’article 23, alinéa b du Règlement de La Haye ?

     

A part la condamnation de Kononov pour de mauvais traitements, de blessures et de la mort des villageois sur la base de l’article 23 alinéa c du Règlement de La Haye, la Cour a également confirmé sa condamnation distincte pour infliction de blessures et de la mort par trahison. Le crime de guerre en question trouve son fondement dans l’alinéa b de l’article 23 du Règlement de la Haye qui interdit « de tuer ou de blesser par trahison des individus appartenant à la nation ou à l’armée ennemie ». L’analyse de la Cour appelle deux remarques :

     

Primo, l’élément distinctif du crime de guerre fondé sur l’article 23, alinéa b est l’infliction des actes mentionnés par trahison. Selon la Cour, à l’époque des faits, le port de l’uniforme ennemi était constitutif de trahison (notion proche de celle de perfidie). Il est à noter que, dans le Règlement de La Haye, l’interdiction d’user indûment des insignes militaires et de l’uniforme de l’ennemi est indépendante de celle de tuer ou blesser par trahison ; elle est prévue dans l’alinéa f de l’article 23 du Règlement. En outre, parmi les exemples des actes perfides cités dans le §1 de l’article 37 du PA I, qui porte sur l’interdiction de la perfidie, est incluse l’utilisation des signes, emblèmes ou uniformes des Nations Unies, des Etats neutres ou non parties au conflit mais pas de l’Etat ennemi. Ce n’est que dans le Statut de la Cour pénale internationale que le port de l’uniforme de l’armée ennemie est explicitement mentionnée comme un crime de guerre (art.8, §2, alinéa b (vii)).


Secundo, la Cour affirme que la population civile du territoire occupé peut être considérée comme « appartenant à la nation ou armée ennemie » aux fins de l’application de l’article 23 (b) du Règlement de La Haye. Selon les juges de Strasbourg, cette phrase comprend « toutes les personnes soumises d’une manière ou d’une autre au pouvoir de l’armée hostile » (§217). On peut s’étonner de la généralité de l’affirmation de la Cour qui reviendrait à assimiler la population congolaise de l’Ituri occupée entre 1998 et 2003 à l’Ouganda ou encore les civils palestiniens des territoires palestiniens occupés à l’Israel.

c. Quelles sources pour les définitions, les interdictions et les incriminations retenues ?


La démonstration que les interdictions et incriminations retenues faisaient partie du droit international en 1944 est peut-être l’aspect le plus problématique de l’arrêt du 17 mai 2010.


 A titre d’exemple, à part le Règlement de La Haye, les sources citées comme fondement de la définition précitée des personnes hors de combat sont les suivantes : le Code Lieber de 1863, la Déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, le projet de Déclaration de Bruxelles de 1874, le Manuel d’Oxford de 1880 établi par l’Institut de droit international, les conclusions du Judge Advocate Generaldans un procès relatif au conflit aux Philippines (1899-1902) devant les cours martiales américaines ainsi que l’article 41 du PA I (§216, note 56).

     

Il en va de même pour l’assertion qu’en 1944 les civils étaient définis par opposition aux combattants, étayée entièrement par des instruments non contraignants. L’affirmation qu’en vertu « du droit international coutumier en vigueur en 1944, les civils ne pouvaient être attaqués que lorsqu’ils participaient aux hostilités et pendant la durée de cette participation », est fondée uniquement sur l’arrêt Ex parte Milligan des tribunaux américains datant de 1866 et le traité de droit international de Oppenheim et Lauterpacht (édition 1944) (§203, notes 29 et 30). Quant à l’inclusion précitée de la population civile occupée dans la nation ou l’armée ennemie, aucune source n’est fournie à l’appui de l’interprétation avancée.

     

En ce qui concerne la prescription des crimes en cause, la Cour a déduit l’existence d’une règle établissant l’imprescriptibilité de l’absence de délai de prescription fixé par le droit international. Le raisonnement en question a été critiqué par quatre juges de la majorité dans une opinion concordante commune.

   

Enfin, de manière plus générale, la Cour semble avoir eu peu d’égard pour la distinction entre, d’une part, les violations des règles du jus in bello et, d’autre part, l’incrimination de ces violations. Selon la Cour, le Tribunal militaire international de Nuremberg a proclamé que les règles humanitaires de la Convention et du Règlement de La Haye de 1907 ont un caractère coutumier et que « les violations de ces textes constituaient des crimes dont les auteurs devaient être punis » (§207). Doit-on conclure qu’aux yeux de la Cour toute violation des règles aussi bien de la IVe Convention de La Haye que du Règlement y annexé constitue un crime de guerre ?


En guise de conclusion

L’arrêt Kononov de la Grande Chambre de la Cour EDH a une orientation « humanitaire » claire. Si l’affaire portait sur des faits ayant eu lieu lors des conflits armés récents, le caractère problématique des points repérés ci-avant serait, dans une large mesure, pallié. En effet, la lecture de l’arrêt donne le sentiment que les règles du DIH telles qu’elles étaient en 1944 sont analysées à la lumière du contenu des règles telles qu’elles sont interprétées aujourd’hui. Et c’est cela qui risque de remettre en question l’apport important de l’arrêt en question dans la confirmation de certaines règles du DIH.


Vaios KOUTROULIS, Chercheur au Centre de droit international

à la Faculté de Droit, ULB

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